" Hm. Hello ? I guess..." - ft. Rika Igelström

Encore une nuit de douleur intense et de lutte contre un instinct qui ne peut que prendre le dessus sur moi. Je pense avoir tué un campeur cette nuit, je me souviens lui avoir mordu le cou à plusieurs reprises, mais je dois dire que le reste est parfois un peu flou, et je me force à en oublier un maximum. C'est le prix à payer pour avoir pris la vie de quelqu'un, même si ce n'était pas réellement volontaire, pas totalement, du moins.

Je suis toujours sous forme de loup mais ma conscience humaine reprend le dessus. Je me rapproche de la zone où j'ai laissé mes vêtements, je n'ai encore une fois pas eu le temps de m'attacher convenablement. Je vais commencer à camper la veille pour être sûr, je pense. Je ne ressens pas encore de culpabilité, mais je sais d'ores et déjà qu'elle va m'arriver en pleine tête sous peu. L'aube pointe le bout de son nez alors que j'ai rejoint l'arbre auprès duquel sont restées mes affaires. Je commence à sentir la douleur de la transformation se produire, mes os se remettent dans une forme différente et je vois du coin de l'oeil que quelqu'un m'observe, je n'ai malheureusement pas la force de m'éloigner. Je ne sais pas ce qui risque de se passer, mais une chose étrange, c'est que cette personne ne bouge pas. Je vois de manière floue et il faut plusieurs minutes à mon corps pour reprendre sa forme d'origine. Heureusement que c'est moins long que la transformation du début de la nuit.

Avant même de me tourner vers la personne restée pour admirer le spectacle, j'attrape mes vêtements et les enfile. Je me tourne en boutonnant ma chemise, prêt à faire face à je ne sais quel type de personne. Qui resterait devant quelque chose d'aussi horrible et anormal ? Je tombe face à une jeune femme blonde, plutôt bien habillée.

« Je crois que je peux me permettre de vous le demander. Donc... qui êtes-vous ? »

La lune était pleine et majestueuse dans le ciel. Son éclat nacré enlaçait dans une douce étreinte chaque chose sur cette terre. Le ciel était dégagé comme les rues de cette petite ville où les légendes faisaient partie de la réalité. Cette nuit de Septembre était trop froide pour la saison et la pluie qui avait lavé les murs des maisons avait laissée des rues humides et sombres. Se balader dans ces conditions n’était pas vraiment conseillé mais, qu’importe. Quelques passants filaient comme des fantômes pour rentrer chez eux après un cours tardif ou pour rejoindre une quelconque connaissance. Le Sud-ouest de la ville était encore bien plus désert. Ce quartier n’avait rien de très animé. Quelques maisons, un cimetière, un lac presque d’encre et une forêt entretenue régulièrement par de quelconques gardes forestiers. Les pas d’une jeune femme l’avaient conduite jusqu’à cet endroit, cette nuit précise. Dans son esprit résonnait encore les avertissements de son ami originel à propos de ces lycanthropes sauvages qui chassaient dans ces lieux. Bien qu’elle n’ait jamais eu l’occasion d’en voir, elle était d’une curiosité maladive, presque sans craintes. Il n’y avait aucun représentant de cette race dans sa région natale. Sans doute que le froid et le manque de gibier devait repousser ces bêtes au sang chaud. Quoi qu’il en soit, elle était venue ici contre l’avis de sa seule connaissance en ces lieux bien qu’elle ne doutait pas une seule seconde qu’il ait d’autres choses à penser. Ce n’était pas très prudent mais, son séjour risquant d’être court, elle ne voulait pas rater cette occasion unique.

Elle était vêtue d’un pantalon clair et de bottes brunes plates, d’une veste épaisse qu’elle utilisait les soirs dans sa contrée glaciale. Ses cheveux étaient libres mais caché dans une capuche qui ne laissait s’échapper que quelques mèches dorées. Ses mains étaient gantées de cuir et le seul objet qui dormait dans sa poche était ce stupide téléphone portable dont elle ne comprenait pas bien l’utilisation mais que son serviteur l’avait habilement convaincue de prendre « en cas de soucis » comme il disait. Visiblement, il était conscient de l’inconscience de sa vampire de maîtresse.

La nuit était déjà bien entamée et la lune entamait sa chute gracieuse sur la voute céleste lorsqu’une forte odeur de sang emplit ses poumons, l’enivrant presque. La forêt elle-même était silencieuse, respectueuse du mort qu’elle trouva. C’était un homme d’âge moyen reposant près d’une tente de toile éventrée. Il avait près de lui un fusil qu’il n’avait pas pu utiliser puisque l’étrangère n’avait entendu aucun coup de feu. Elle s’approcha doucement, ses yeux se baladant sur le corps. Quelle ne fut pas sa surprise d’entendre une légère inspiration saccadée et de voir les prunelles de la victime trembler encore de peur. Il était encore vivant malgré tout le sang qui tâchait ses vêtements et souillait l’herbe autour. En voilà un qui ne voulait pas mourir. Peut-être souffrait-il silencieusement dans ses derniers instants. Vu l’état de sa gorge il était compréhensible qu’il ne dise pas un mot. C’était toujours surprenant pour elle de voir que même quand l’homme était mis face à sa faiblesse physique, il s’accrochait encore et toujours à la vie. Lui faire boire de son sang pourrait peut-être le soigner mais, s’il mourait avant, elle aurait créé un vampire. Elle ne savait rien de lui. Peut-être qu’elle allait sauver un criminel ou condamner un bon père de famille. Son choix fut de le sauver en faisant couler plusieurs goutes de son précieux sang dans sa bouche et même sur la gorge meurtrie. A peine quelques secondes plus tard, la chaire se reconstitua, les blessures n’étant pas aussi profondes qu’elle le croyait. L’homme déglutit et respira fortement. La vampire s’éloigna, estimant avoir fait sa bonne action du jour, certaine de ne pas avoir créé un autre immortel.

L’aube n’allait plus tarder à réveiller le monde et elle perdit l’espoir de voir la créature qui avait attaquée ce campeur. Néanmoins, elle avait eu un aperçu vivant de ce dont était capable un lycanthrope. La jeune femme continua son chemin vers la lisière de la forêt, là où les arbres se faisaient moins nombreux et les sentiers plus visibles. Elle marcha sur un morceau de métal qu’elle ramassa. On aurait dit un bout d’une chaîne brisée. Il y en avait d’autre et sa curiosité la poussa à fouiner un peu plus pour trouver un tas de vêtements. Un sourire étira doucement ses lèvres, elle avait trouvé sa bête. Lorsqu’elle sentit qu’elle n’était plus seule, elle se cacha à moitié derrière un chêne imposant et ses yeux ne quittèrent pas une seule seconde le loup majestueux au pelage brun et noir qui, une seconde plus tard, se tordit dans de nombreux sens, comme broyé par une main invisible. Le spectacle était à la fois déroutant et intriguant. Un loup devenait un homme sous ses yeux innocents pendant plusieurs minutes. Vu les gémissements de la créature et sa mâchoire crispée, c’était douloureux. Au final un homme se tenait debout et se rhabilla vite fait avant de se tourner vers elle. Sentant que le danger n’était plus aussi intense, elle se décala un peu de l’arbre derrière lequel elle s’était cachée comme une enfant timide. Le lycanthrope qui se tenait face à elle ne s’attendait visiblement pas à un quelconque spectateur.

« Je crois que je peux me permettre de vous le demander. Donc... qui êtes-vous ? »

Son identité était la seule chose qui l’intriguait ou alors était-ce une façon de montrer qu’il n’était pas agressif. Quelque soit le but de sa question, la vampire ne répondit pas tout de suite, détaillant son interlocuteur, retrouvant dans ses yeux et ses cheveux les couleurs de la bête.

« Ce n’est pas très important. Bien que je savais les humains fragiles, j’ignorais la facilité que pouvait avoir un loup de votre taille à s’en servir comme d’un vulgaire os à mâcher. Je ne suis pas ici pour porter un quelconque jugement, l’humain est vivant et si cela vous fâche il ne doit pas être bien loin à l’heure actuelle, sans doute encore sonné. Dans toute ma longue vie, je n’avais jamais vu un tel spectacle. Est-ce si douloureux ? »

Ses yeux bleus reflétaient la sincérité de ses paroles et l’innocence de sa question. Cet homme exerçait une fascination morbide sur elle, sa curiosité ayant été piquée à vif.

La blonde vient de me confirmer ce que je craignais et savais déjà intérieurement. J'ai bien attaqué un homme cette nuit. Comment être sûr que c'est le seul, en revanche, je n'en ai aucune idée. Je me passe une main dans les cheveux et regarde autour de moi, cherchant un moyen de garder mes pensées claires. Je me concentre simplement sur le bruit du vent dans les feuilles d'arbre, la nature me permettant d'y parvenir par une association d'idées que je ne vais pas particulièrement détailler pour le moment. Après plusieurs longues secondes de silence et de regards en mouvement, je me concentre de nouveau sur mon interlocutrice. Il n'est pas difficile pour moi de faire le lien entre ce qu'elle m'a dit, et ce qu'elle semble être. Si nombreux sont les vampires qui ignorent l'existence des loups garous, il semble que la situation soit inverse chez les loups. Je connais bien les vampires, ce qu'ils sont, ce qu'ils font. Je n'en suis d'ailleurs pas bien fan.

Toutefois, je ne tiens pas particulièrement à faire des généralités et à mettre tous les vampires dans le même panier, je me doute bien entendu que beaucoup ne sont pas de simples suceurs de sangs débiles qui s'amusent à boire jusqu'à la dernière goutte du liquide rouge et chaud coulant dans les veines des humains avant de les décapiter et laisser en trophée à la famille. C'est pourquoi je me redresse tranquillement et me décide à reprendre la parole après ce silence qui commençait à se faire pesant.

« Oui, c'est douloureux. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle nous appelons ça une malédiction. La totalité des os de votre corps se brisent et se tordent dans des sens et positions qui restent indescriptibles, même après des dizaines et des dizaines de transformations. Vos dents s'allongent dans une douleur tout aussi difficile à supporter, des griffes longues et tranchantes remplacent vos ongles et en un laps de temps variable, vous vous retrouvez en bête attachée à des chaînes, ou courant dans la forêt après des proies bien différentes des lapins. Ce spectacle dure jusqu'à l'aube où vous pouvez enfin retrouver votre apparence humaine et vous en vouloir pour toutes les choses horribles que vous avez faites à ceux qui ont eu le malheur de croiser votre chemin durant cette nuit. Et cela arrive à chaque pleine lune, mais vous devez vous en douter, ou vous ne seriez pas là en ce moment précis, me trompe-je ? Je vois que vous êtes porteuse d'une grande curiosité, d'ailleurs, si vous voulez mon avis, elle est plutôt déplacée. C'est dingue, même au fin fond des bois, on trouve toujours quelqu'un pour venir rendre ces temps difficiles encore plus désagréables. Enfin, ce n'est pas de vous précisément que je parle. »

En réalité, un peu quand même. Mais mon affirmation englobe bien plus que ça, comme ce campeur par exemple. Je ne comprends pas ce besoin qu'ont les gens de venir s'aventurer si loin dans la forêt, seuls en des nuits si sinistres. Je finis par ne plus savoir où me transformer. Toutefois, je m'autorise à soupirer paisiblement en entendant la nouvelle, ma victime est vivante. Je continue de me remettre les idées en place et regarde soudainement mon interlocutrice. Ses paroles viennent déclencher une alarme à l'intérieur de ma tête. Je soupire et lève les yeux aux cieux.

« Votre "longue vie" ne doit pas l'être tant que ça pour que vous fassiez preuve d'une telle ignorance et insouciance, ma chère... Laisser partir un humain sans encombre après l'avoir soigné, c'est une chose... Le faire sans le contraindre à tout oublier après qu'il se soit fait attaquer par un loup et soigner par un vampire en est une autre. »

Je me concentre désormais sur mon ouïe. En retournant jusqu'à mes affaires, j'ai senti peu à peu ma vision se troubler et un nuage entourer mes pensées. Le chemin vers le campement est compliqué et je ne vois pas d'autre manière de retrouver le survivant qu'en utilisant mes oreilles. Je ne me suis jamais senti concerné par le sort des vampires, mais cet homme que j'ai attaqué sait faire la différence entre un simple loup, et ce qui lui a arraché la gorge cette nuit. Et le fait qu'une femme le sauve en lui faisant boire son sang ne devrait avoir pour seule conséquence que de confirmer ses doutes -à mon avis d'ores et déjà bien présents-.

Rika détailla son interlocuteur. Il avait l’air encore un peu perturbé de sa folle nuit dans les bois. Son regard trahissait de profondes réflexions. Savait-il ce qu’il avait fait ou était-il complètement innocent dans ses seuls yeux.

« Oui, c'est douloureux. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle nous appelons ça une malédiction. La totalité des os de votre corps se brisent et se tordent dans des sens et positions qui restent indescriptibles, même après des dizaines et des dizaines de transformations. Vos dents s'allongent dans une douleur tout aussi difficile à supporter, des griffes longues et tranchantes remplacent vos ongles et en un laps de temps variable, vous vous retrouvez en bête attachée à des chaînes, ou courant dans la forêt après des proies bien différentes des lapins. Ce spectacle dure jusqu'à l'aube où vous pouvez enfin retrouver votre apparence humaine et vous en vouloir pour toutes les choses horribles que vous avez faites à ceux qui ont eu le malheur de croiser votre chemin durant cette nuit. Et cela arrive à chaque pleine lune, mais vous devez vous en douter, ou vous ne seriez pas là en ce moment précis, me trompe-je ? Je vois que vous êtes porteuse d'une grande curiosité, d'ailleurs, si vous voulez mon avis, elle est plutôt déplacée. C'est dingue, même au fin fond des bois, on trouve toujours quelqu'un pour venir rendre ces temps difficiles encore plus désagréables. Enfin, ce n'est pas de vous précisément que je parle. »

La description qu’il faisait de sa propre espèce n’était pas glorieuse et teinté d’une légère honte. Elle ne l’avait pas interrompu dans son long discours par politesse mais aussi parce que ses mots s’enchainèrent facilement, comme s’il avait besoin de parler après cette mésaventure lunaire. Quant à sa curiosité, elle ne s’offusquait pas à ce qu’il la prenne mal. La vampire n’aimerait pas non plus être ainsi observée comme une bête de foire. Néanmoins, elle ne regrettait pas son choix d’être venue ici en ces temps. Elle ne répondit pas de suite, le loup ayant eu visiblement une illumination :

« Votre "longue vie" ne doit pas l'être tant que ça pour que vous fassiez preuve d'une telle ignorance et insouciance, ma chère... Laisser partir un humain sans encombre après l'avoir soigné, c'est une chose... Le faire sans le contraindre à tout oublier après qu'il se soit fait attaquer par un loup et soigner par un vampire en est une autre. »

Sa réflexion ne lui fit aucun effet et elle leva simplement les épaules pour lui montrer son manque d’intérêt pour cet humain. Elle était déjà bien gentille de l’avoir sauvée alors si en plus il fallait s’en occuper, autant le laisser aux charognards.

« Il était inconscient, à l’aube de la mort lorsque je l’ai soigné et encore inconscient lorsque je suis partie. Il ne se souviendra sans doute de rien. Et puis, vous pensez vraiment que ces camarades humains vont retenir leurs éclats de rire s’ils le voient courir dans tous les sens en hurlant qu’un grand méchant loup l’a attaqué dans les bois mais qu’il n’a aucune trace ? Leurs maisons de fou gagnera au pire un nouvel habitant. Je ne vois pas en quoi cette situation est gênante. Quant à ma curiosité, je n’ai aucune mauvaise intention envers vous ou votre espèce. De plus, cela m’étonnerait grandement que nous nous revoyons. »

En effet, Rika n’avait plus très envie de rester dans cette étrange ville et son manoir glacé lui manquait. Son confort de petite princesse vampire était aussi un luxe qui lui semblait bien précieux après avoir séjournée dans ces lieux.

Sa réponse me fait hausser les sourcils. Si tous les vampires faisaient ça, bien sûr que si, les gens commenceraient à se douter de l'existence des vampires et des loups-garous. Toutefois, je ne relève pas et me rhabille. Après tout, ce n'est pas utile pour moi de continuer cette conversation, elle vient quand même d'éviter un mort supplémentaire sur ma conscience ou une énième victime à soigner tout à l'heure à l'hôpital. Je ne peux pas lui en vouloir, ça allège clairement mon état d'esprit. Je m'étire et fais quelques pas, j'ai enfin cessé de ressentir la douleur de la transformation et je me sens un peu plus libre. J'essaye de me rappeler si j'ai croisé quelqu'un d'autre dans la forêt cette nuit mais aucun autre visage ne me revient. Aurais-je enfin passé une nuit de pleine lune sans effectuer un énorme massacre ? Il semblerait que les humains commencent enfin à être censés. Il leur en a fallu du temps pour arrêter de venir se promener en pleine nuit dans les bois malgré les quelques panneaux de dangers qui ont pour but de les en dissuader.
Je me tourne vers mon interlocutrice en repensant à la dernière phrase qu'elle vient de prononcer. Au final, elle n'est pas la seule personne curieuse en ces bois, à mon tour de poser les questions.

- Je ne suis pas là depuis bien longtemps, au contraire, mais je pensais avoir rencontré la plupart des gens de cette ville. Étrangement, de nombreuses personnes viennent à l'hôpital et dans les bars dans cette ville. Toutefois, je ne vous ai jamais vue. Et vous dîtes qu'on ne se reverra probablement pas, donc j'en déduis que vous n'êtes pas d'ici et n'êtes que de passage. Votre accent confirme d'ailleurs ce que j'avance. D'où venez-vous ? 

Je passe le plus clair de mon temps dans les rues de cette ville, ou dans les lieux publics grandement fréquentés. Je m'en souviendrais si j'avais croisé une dame dans ce genre là, surtout quand il s'agit d'un vampire, et clairement, je n'en ai aucun souvenir.