"What a night... What a painful night." ft. Nate Jónsson

Je l'ai vue arriver cette pleine lune. Depuis plusieurs années je regarde encore les jours passer sur le calendrier avec la même crainte. Je n'ai plus de doute sur ce qui m'arrive, plus de doute à propos de ce dont je suis capable, je connais par cœur la douleur de chaque transformation. Je ne sais pas si je crains plus la douleur, ou les morts que je vais une fois de plus provoquer. Je ne peux m'empêcher de penser à ça. Je me suis moi-même attaché à un arbre il y a maintenant une heure, le plus loin possible des habitations et des lieux fréquentés, au fin fond de la forêt. J'écoute le vent souffler dans les arbres quand j'entends le premier craquement d'os, et que je ressens la première douleur cinglante qui se répand comme une onde dans tout mon corps. Je tombe à genoux, et alors que mon corps se tord afin de briser chacun de mes os et de me transformer en animal, je prie intérieurement pour ne pas retrouver de personne grièvement blessée par ma faute sur le billard demain matin, alors que je reprendrai une vie normale pour un mois.

Je hurle de douleur, cette malédiction me détruit littéralement le corps chaque mois, et bien que la transformation s'effectue bien plus rapidement que par le passé, elle n'en reste pas moins éprouvante, mentalement comme physiquement. C'est sans doute également une manière de payer pour mes crimes.

J'entends un nouveau craquement, d'un autre type cette fois. Je tourne rapidement la tête, tant bien que mal, pour remarquer qu'une des sangles est attachée à une branche qui semble sur le point de lâcher. Cette sangle me maintient les poignets attachés. Pris par la panique, je tente de me jeter sur elle pour la changer de place, mais mes avants-bras craquent à leur tour en même temps que mes tibias, et je me retrouve de nouveau sur le sol.

Le temps passe et je cesse de penser aux conséquences de mes actes, à la branche qui a lâché, je ne fais que penser à mon agressivité, mon envie de chasser. Je me débarrasse de mes chaînes et cours à travers les bois, à toute vitesse. La rapidité et les sens en éveil dus à la transformation m'ont manqué, ou du moins, ont manqué à cette partie de moi-même, qui se réveille en ce soir de pleine lune. Je pars en chasse. Les heures passent et le matin arrive sans doute bientôt quand je sens une odeur alléchante, celle de viande cuite au feu de bois. Je me rue dans cette direction et arrive face à un groupe de jeunes qui font du camping, je m'apprête à attaquer quand je sens une odeur similaire à la mienne, à quelques mètres de moi. Je me tourne vivement et me concentre sur ma vision, jusqu'à voir bouger un buisson duquel apparaît un autre loup-garou. Il ne me faut que quelques secondes pour le reconnaître. Mon frère. Nate.

31 juillet, soir de pleine lune, j'étais sorti de chez moi, juste en pantalon, comme d'habitude, en laissant la porte ouverte pour éviter de perdre mes clefs en pleine forêt, comme d'habitude.
C'était presque lassant à force de faire les mêmes gestes tous les mois, c'était encore plus lassant de savoir que puisque l'espérance de vie moyenne d'un homme était de plus de 70 ans, j'en avais encore pour facilement 50 ans comme ça...Finalement être hybride ce ne serait peut être pas si dégueulasse que ça, à méditer.

A méditer d'accord, mais plus tard, pour le moment il fallait surtout que je me dépêche de m'enfoncer dans la forêt, là où personne ne risquait de venir se promener, et il fallait cette fois que je laisse mon pantalon quelque part, hors de question d'en bousiller encore un et de faire le chemin du retour complètement nu, une fois avait été assez humiliante, même si j'avais eu des circonstances atténuantes de type vampire à l'agonie.

Je finis par arriver au milieu de la forêt, loin de toute habitation et je me déshabillais avant de m'asseoir contre un arbre calmement, j'avais compris depuis longtemps que plus je luttais contre la transformation, plus je risquais d'aggraver la douleur et croyez moi, quand on doit subir une bonne centaine de fractures d'un seul coup, on préfère éviter d'aggraver les choses, à moins d'être sévèrement masochiste.
Le premier craquement d'os se fit entendre et je me mordis les lèvres en me retenant de hurler. J'avais appris à faire ça il y a longtemps également, à ne pas émettre le moindre bruit en me transformant, seuls les craquements de mes os brisaient le silence, c'était juste une question de volonté c'est ce que je me répétais. Je fermai doucement les yeux pour mieux me contrôler, et lorsque je les rouvris, j'avais laissé la place au loup. Il était temps de partir en chasse.

Malheureusement cette nuit, les vampires comme les humains avaient visiblement décidé de déserter la forêt et je me retrouvai seul à déambuler en attendant le lever du soleil. C'est alors que mon odorat détecta au loin une odeur qui m'était familière sans que je puisse pour autant l'identifier, je me mis alors à courir dans la direction, bien décidé à comprendre de quoi il s'agissait.
Sortant d'un buisson, je me figeai devant la scène qui était en train de se jouer sous mes yeux, un groupe de jeunes faisait du camping et non loin d'eux, il y en avait un autre, un autre loup, dont les intentions étaient à priori nettement moins innocentes que les miennes.
C'est seulement lorsqu'il se tourna vers moi et que ses yeux se posèrent sur les miens que je le reconnus instinctivement. C'était Logan, mon grand-frère, de retour à Mystic Falls.

Je le fixais ainsi, dans l'ombre, durant de longues minutes, avant de faire demi-tour, espérant qu'il me suivrait.
Ce ne fut que lorsque j'ouvris les yeux quelques heures après que je réalisais ma bêtise, guidé par mon instinct de loup-garou cherchant sa meute, j'avais quitté la zone de la forêt où je me forçais d'habitude à rester, ce qui signifiait que mon pantalon était resté probablement quelques kilomètres derrière moi, et que si mon frère m'avait suivi, nous nous apprêtions à vivre un des moments les plus gênants de notre existence.
Je soupirais me forçant à m'asseoir, passant une main successivement sur mon visage, puis dans mes cheveux, afin de me donner l'apparence d'un humain normal et pas celle d'un sauvageon qui a passé sa nuit à se rouler dans la terre.

«Logan ? T'es dans le coin ? »

Et je ne savais pas quelle réponse je voulais entendre. J'avais certes très envie de revoir mon frère après plus d'un an sans se dire un mot ou presque mais si j'avais plutôt pu le revoir dans une tenue qui ne risquait pas d'être qualifiée d'atteinte à la pudeur, ça m'aurait amplement arrangé.

J'ouvre les yeux, ma tête a cessé de me faire mal et je sens que j'ai retrouvé mon apparence humaine. Retrouver mon petit frère au milieu des bois à viser le même groupe de campeurs m'a fait une fois de plus réaliser à quel point nous ne faisions pas parti d'une famille simple. Je regarde autour de moi et remarque que je suis derrière un buisson. C'est un bon début. La suite est moins bonne, je suis très loin de l'endroit où j'ai laissé mes chaînes et mes vêtements, ainsi que les clefs de ma voiture. Mais ce problème, je l'éclipse assez vite en entendant la voix de mon petit frère, non loin de là. Je me redresse et me lève, faisant bien attention à ce que le buisson recouvre mon corps. Je vois Nate au loin, aux premières lueurs du jour.

« Je suis là. »

C'est la seule chose que j'ai trouvée à dire. Je suis heureux de revoir mon frangin après une si longue absence, lui que j'ai élevé pendant plusieurs années et pour qui je me suis souvent battu. Toutefois, j'aurais aimé que ça se fasse dans un bar autour d'une bière, pas dans les bois, nus comme des vers. Je finis par sortir du buisson, je sens d'ici arriver la situation gênante, mais je décide de faire comme si tout était normal et rien n'était problématique. J'avance jusqu'à mon frère et m'arrête à environ un mètre.

« Je te prendrais bien dans mes bras, mais je ne pense pas que ce soit très approprié dans cette situation, frangin. Je pense que tu comprends. »

Mon sens de l'orientation me fait reconnaître un tant soi peu les alentours et je repère un petit chemin qui, je suis sûr, nous ramènera à ma voiture, et à mes vêtements dans le même temps.

« Je vois que tu n'as pas réussi plus que moi à t'attacher. J'ai des vêtements de rechange dans la voiture. »