Les mois avaient passés depuis l’arrivée de Rika dans ces terres. Elle qui ne comptait rester que quelques semaines avait bien vite perdue de le contrôle de la situation. A chaque fois qu’elle comptait repartir, quelque chose l’en empêchait. Ou plutôt, il s’agissait d’actes manqués. Cette ville avait un charme particulier surtout pour une vampire qui avait fuis le monde réel pendant des siècles. De nombreux vampires s’y cachaient, vivant leur mort dans un calme tout aussi surnaturel. La norvégienne n’était pas devenue particulièrement sociable et préférait toujours les grands
espaces où elle pouvait profiter d’un peu de calme. Au final, elle connaissait mieux les alentours sauvages que la ville elle-même.
Lors d’une soirée presque élégante à laquelle elle s’était rendue à la fête des morts, elle avait pu faire la connaissance de l’hybride original. Bien sûr, elle avait déjà eu vent de ses exploits et massacres mais, le voir en personne était bien différent. Ils n’avaient pu discuter que quelques minutes mais, la dame en gardait un étrange souvenir, agréable mais, étrange. Il avait lui-même dit que cette danse était également marquante pour lui. Ce fut une de ces rencontres qu’on fait une fois par siècle au mieux, celles qui où l’on échangeait des regards capables de
transpercer des armures. Elle éprouvait maintes difficultés à deviner ce qu’il pensait réellement d’elle et, encore plus à savoir ce qu’elle pensait de lui. La seule chose dont elle était sûre, c’est qu’elle ne quitterait pas ces terres mystiques sans le revoir. C’était sans doute la véritable raison à son manque de décision sur le départ.
Sans doute que le Destin laissait la dame errer dans ces terres dans un but différent de celui d’échanger avec un surnaturel millénaire, qu’il avait d’autre plans pour elle. En effet, un soir où la lune dessinait un croissant dans un ciel nébuleux, la dame errait un peu plus loin du cimetière. La nuit était glaciale et l’hiver avait emporté dans son
étreinte les hautes herbes et arbres solitaires. La glace se déposait sur les branches comme des milliers d’infimes cristaux alors que la neige fraiche et immaculée craquait doucement sous ses pas. La vampire avait toujours adoré l’hiver pour sa beauté et sa cruauté. Maintenant qu’il était installé, un sourire éclairait son petit visage de porcelaine alors qu’elle était confortablement emmitouflée dans un manteau de couleur
olive. La solitude qui la cajolait depuis toujours semblait perdre en intensité puisque même dans ce désert où l’hiver était son seul compagnon, ses pensées allaient à l’hybride et aux deux baisers échangés.
Ce fut dans ce décor digne des plus belles envolées lyriques que Rika fit une découverte qui marqua un nouveau chapitre de sa vie. Une avait attiré son attention dans une vieille cabane abandonnée qui sans doute dû servir à stocker le bois avant que la modernité n’entraîne la ville dans son confort et son luxe. Cette voix était une lamentation, comme un râle fantomatique qui permit à un sentiment d’angoisse de la posséder. Très délicatement, elle s’approcha, se servant de ses sens centenaires pour être certaine qu’aucune autre âme vivante ne pouvait l’épier. De sa main gantée, elle poussa la porte très légèrement pour éviter tout grincement. Le spectacle qui s’offrait à elle aurait été le parfais décors d’une maison hanté. Des cadavres grisés de vampires gisaient sur le sol accompagnés d’une odeur pestilentielle. Du sang avait séché dans tous les recoins, des fois tracés dans des symboles particuliers liés à la sorcellerie montrant que tout ceci n’était pas un accident. L’effroi la saisit et elle cacha la moitié de son visage derrière son écharpe pour s’épargner l’odeur putride. Elle ne fit pas un pas de plus, craignant d’être prisonnière d’un sort et de finir comme ces malheureux.
L’origine des râles attira son attention. C’était un vampire ensanglanté, encore vivant mais déjà dans les bras de la mort. Son corps n’était plus qu’une masse difforme sous un voile rubis. Seul son visage semblait avoir été épargné. Et, ce visage ne lui était pas inconnu. Les traits de l’homme mourant ne pourraient jamais quitter sa mémoire. Celui qui lui avait volé son innocence et son humanité alors qu’elle était une enfant gisait désormais à ses pieds. Rika s’approcha et s’agenouilla, déposant une caresse sur son visage pour signifier sa présence. Le regard brun s’illumina et un sourire tendre étira les lèvres roses de la dame qui avait baissé son écharpe.
« Ma magnifique épouse … », commença-t-il , se sachant enfin sauvé « Je savais que le Destin te ramènerait à moi à travers les siècles. Apporte moi du sang humain avant que les sorcières ne reviennent, il nous faut vite partir »
La vampire ôta ses gants et passa sa main délicate sur sa peau nue descendant un peu plus bas, s’arrêtant sur son torse, un doigt à l’endroit où était son cœur.
«
Ca va aller. Viens avec moi. Tout ira bien, tu verras »
La voix était d’une rare douceur, un peu comme celle d’une mère qui réconfortait son enfant réveillé par un cauchemar ou, dans ce cas-ci, une femme qui allait prendre soin de son époux blessé. Ses mots avaient été choisis avec un grand soin, c’était ceux utilisé par cet homme lorsqu’il l’avait emmenée loin de sa famille à ses douze ans. Elle les avait également prononcés dans sa langue maternelle. D’un geste précis, elle enfonça sa main dans son torse, brisant les côtes, empoignant le cœur encore battant, provoquant un sursaut chez le mourant.
« Tu ne peux pas faire ça ! C’est moi qui ait fait de toi ce que tu es »
« C’est exact », dit-elle d’une voix toujours très douce alors qu’elle se servit de sa main libre pour caresser son visage. «
Tu m’as offert la mort, laisse-moi faire pareil »
La vampire déposa ensuite ses lèvres sur celle de son mari un tendre instant avant de se redresser, emportant avec elle le cœur mort. Le cadavre se grisa dans un dernier râle alors que la sourire de la meurtrière disparut et laissa son visage de porcelaine dans sa pureté habituelle. Mais, quelques secondes plus tard, elle se redressa et une larme cristalline s’échappa de ses paupières closes. Lorsqu’elle rouvrit les yeux, la glace de ses iris avait fondue pour laisser place à un bleu de la même pureté que lors de son enfance, comme si ces derniers siècles n’avaient jamais existés. Un sourire sincère éclaira son visage alors qu’un soupir de soulagement s’échappa de ses lèvres. Un intense sentiment de liberté réchauffa son cœur alors qu’elle se sentait enfin toucher le paradis tant cette délivrance était importante pour elle.
Doucement, elle enleva son écharpe et enveloppa le cœur ensanglanté avec beaucoup de précautions. Ensuite, elle quitta cet endroit maudit, certaine que son mari veuf n’était qu’un pion dans un jeu plus grand dont elle ne comprenait encore toutes les subtilités. Pas après pas, elle regagna sa demeure, gardant dans ses mains fragiles le cœur, symbole de sa liberté tant attendue. Une fois dans sa chambre, elle le déposa dans un petit coffret qui cachait normalement ses bijoux. En le faisant, elle se rappelait le conte de Blanche Neige où la méchante reine voulait enfermer le cœur de sa rivale dans un coffret et se fit à ce moment la réflexion que les méchantes reines n’étaient que les princesses qui n’avaient jamais été sauvées.
La journée qui suivit la fin de son chapitre, la vampire semblait pleine d’un entrain qu’elle n’avait jamais connu. Bien qu’elle désirait ardemment quitter ces lieux et voir le monde, il fallait qu’elle avertisse quelqu’un de ce qu’elle avait vu. Elle se mit donc à la recherche de Klaus Mikaelson, c’était sans doute la meilleure personne à prévenir vu le mystère qui entourait ce sacrifice de vampires. Une jeune vampire à la langue de
vipère lui indiqua que l’homme qu’elle cherchait se trouvait près du lac, non sans poser une douzaine de questions sur l’intérêt que portait l’étrangère au maître des lieux. Une fois qu’elle eut son information, Rika pria la paysanne de se mêler de ses affaires et pris la direction du lac, rêvant du monde entier qui ne lui semblait plus si abjecte. En une dizaine de minutes, elle décida que
Paris serait sa première destination.
Arrivée au lac, elle se contenta de rester sur le chemin de pierre. La neige et la
pluie de cette matinée avaient rendu le sol impraticable et elle se demandait ce que l’hybride pouvait faire en ces lieux par ce temps-ci. Lorsque son regard bleuté se fixa sur lui, un sourire éclaira de nouveau son visage sans qu’elle ne le veuille vraiment. Immédiatement, les deux baisers échangés lui revirent en mémoire. Un coup de vent la ramena à la réalité et elle regretta une seconde d’avoir choisi cette magnifique robe de couleur
fauve ce matin. Heureusement que sa veste était épaisse. Si elle adorait l’hiver, elle détestait le temps maussade où la neige se transformait en boue et où le vent malmenait les gens.
Elle s’approcha sans chercher à être discrète, les talons de ses chaussures claquant allègrement sur la pierre. Une fois près de lui, elle ne put effacer son sourire mais, en vint directement aux choses sérieuses :
«
Excusez-moi de vous importuner mais, il m’a été donné l’occasion de contempler un spectacle quelque peu étranges et je ne pouvais me confier à personne d’autre. »
Quand l’hybride l’invita à poursuivre d’un regard, la dame en vint aux faits :
«
Une dizaine de vampires reposent à l’état de cadavres dans un même endroit, sur vos terres. Des symboles de sorcelleries étaient partout sur leurs cadavres et le sol, tracés dans le sang. Tout cela ressemblait fort à un rituel sacrificiel »
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Here comes the rain again
Falling from the stars
Drenched in my pain again
Becoming who we are
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Green Day
© Gasmask