Ces gens sont dingues ... [Adam&Rika]

Bienvenue à Mystic Falls, population surnaturelle : 38 892 – population humaine : 1. Ou en tout cas c’était l’impression qu’elle avait. Les raisons de sa présence dans cette étrange ville n’étaient toujours pas plus claires qu’avant et elle se sentait encore plus perdue. Ce voyage lui montrait bien que le monde avançait sans elle et à une vitesse dont l’accélération était exponentielle ces dernières décennies. Elle en avait encore une démonstration aujourd’hui dans cette bibliothèque. On lui refusait de prendre des livres comme elle voulait et on lui parlait d’inscription. Le « on » en question était une femme blonde aux traits fatigués, avec de petites lunettes vertes, le genre qui devait vivre avec dix-huit chats. Si l’hypnose l’aurait facilement sortie de cette mésaventure, la vampire songeait à essayer de comprendre un peu plus ce monde de dingue et, commencer par le système d’une bibliothèque publique pouvait être une bonne idée. En Norvège, elle avait également une pièce où s’entassaient des livres par centaines, accumulés au fil des siècles, apportés par quelques paysans hypnotisés ou laissés par des hommes et femmes de la noblesse qui avaient séjournés sur ses terres.
Elle répondit donc calmement aux questions posées par la responsable de tout ce cirque. Tout aurait très bien pu se passer jusqu’à la fameuse question :

« Adresse mail ? »
« 2547, CarnerStreet »
« Non madame une adresse émail … »
« Euh … »
« Sur internet »

Rika arqua un sourcil à la fois de surprise et de mécontentement. Elle avait entendu parler de « l’internet » et qu’on pouvait tout y faire dessus mais elle ne voyait pas le rapport entre ça, une adresse étrange et l’accès aux livres de cette villes où chaque personne semblait se complaire dans l’idée de la contrarier le plus possible.

« Il y  un ordinateur là, faites-là maintenant »

Elle se tourna pour observer la machine qu’elle n’avait jamais touchée et dont l’idée la rebutait et lorsqu’elle se tourna pour régler une bonne fois cette situation avec son regard glacé, la femme s’était déjà éloignée. La vampire soupira de mécontentement, ça lui apprendra à vouloir comprendre ce monde de dingues.
Elle s’assit en face du monstre de métal et de plastique. L’écran était noir et il y avait devant elle une plateforme avec des lettres et un truc rond avec un fil. Elle appuya sur une touche et sursauta presque en voyant l’écran s’allumer et afficher le bureau. Bon, la bête était vivante, c’était déjà ça. Sans doute avait-elle déjà assez appris pour la journée. Un regard à droite et à gauche lui apprit que les autres utilisateurs bougeaient frénétiquement le machin rond. Elle le fit doucement et mis quelques secondes à comprendre que c’était ce qui faisait bouger la flèche blanche du l’écran. Bon, visiblement c’était le volant de la bécane. Restait à trouver les pédales. Les clics incessants la firent appuyer sur une partie un peu enfoncé du rond et il ne se passe rien. Elle recommença à d’autres endroits de l’écran en déclenchant l’ouverture d’autres petits écrans. Si ça continuait, elle allait finir par tout jeter par la fenêtre et se barrer. Elle se réinstalla dans sa chaise, le dos droit et passa une main sur son visage de porcelaine. Cette journée allait être pénible.

Rika songeait sincèrement à abandonner son entreprise du jour. Ce monde était fou, tout simplement. Tous ces humains pathétiques étaient désespérément accros à ces appareils maudits. C’était même ironique de voir à quel point tout le monde était connecté et à quel point tout le monde était seul. Tout ce système d’hypocrisie dégoulinante la dégoûtait profondément. Et là voilà à tenter d’apprendre la maîtrise du cerveau de l’être humain. Son temps d’apprentissage s’annonçait particulièrement court, pas à cause d’un don quelconque pour l’électronique mais tout simplement parce que la patience n’était pas sa principale qualité, bien loin de là.

Alors qu’elle rageait intérieurement, une voix la tira de ses ruminations mentales :
— Vous voulez de l’aide, peut-être, Madame ?

Elle arqua un sourcil et détailla cet être importun sans la moindre gêne qui osait lui adresser la parole. C’était un petit humain qui ne devait pas être en âge de se reproduire – ou du moins c’était l’idée qu’elle s’en faisait – qui devait peser soixante kilo à tout casser et qui laissait traîner ses oreilles partout.

— Euh, si vous voulez vous faire une adresse e-mail… Vous devriez ouvrir un navigateur.

Parce qu’en plus il avait écouté son échange avec la bibliothécaire pitoyable ? Plus le temps passait, plus les jeunes ne savaient pas se tenir à leur place. A son âge elle savait déjà coudre, cuisiner, travailler la terre, s’occuper d’enfants ou d’animaux, compter et toutes les astuces pour survivre aux hivers glaciaux. Lui, il avait l’air de marcher sur ses propres pieds. Néanmoins, les choses avaient tellement changées que même les plus froids des hivers n’arrivaient pas en endiguer cette peste humaine. Avec cette stupide technologie, les gens vivaient bien trop vieux, erraient dans les rues à des âges avancées comme des créatures décérébrées, aux membres pourris et qui bavent.

Malgré sa mauvaise humeur naissante, ou déjà bien installée, elle recula sa chaise et invita d’un geste de la main le petit importun à montrer ce qu’il savait faire. Après tout, elle ne voyait pas ce qu’un bateau venait faire dans toute cette histoire d’ordinateur, elle avait cru comprendre que ces bêtes supportaient moyen l’eau.

« Fais donc, je regarde. De là où je viens, on n’ennuie pas les honnêtes gens avec ces machines stupides. »

En fait si, son pays était quand même relativement bien développé, c’était juste Rika qui n’avait pas réussit à dépasser mentalement le dix-neuvième siècle.

« Mais bon, peut-être qu’il y a réellement un monde merveilleux là-dedans »

Oui, ou des gens bizarres, des filles dénudées, des chats et des gens bizarres. C’était surtout ça internet en fait. Gloire aux humains et à leur immense intelligence. En tout cas, le ton de sa voix laissait voir tout le caractère sceptique du monde entier, coincé dans une seule personne.

Une seconde, Rika ferma les yeux, s’imaginant de nouveau chez elle, dans ses terres. Les paysages magnifiques qui pourraient inspirer les plus grands artistes. C’était une superbe nature sauvage qu’on ne pouvait dompter, seulement respecter. La vampire était semblable mais, se sentait complètement perdue dans ce pays. La langue ne lui était pas étrangère mais, les gens et leurs coutumes lui étaient. Sans doute que le lent et délicat passage du temps ne lui avait pas servit à comprendre ce monde en perpétuel changement.

« Si vous êtes une adoratrice de chats et que vous aimez vous retrouvez à regarder des vidéos sans queues ni têtes à cinq heures du matin, pourquoi pas. »

Son regard hivernal fut un subtil mélange entre l’incompréhension et le doute. Elle savait bien que ce qu’était une vidéo et avait même une télévision chez elle. Mais, elle ne voyait pas le rapport avec les chats. Elle n’appréciait pas particulièrement ces félins, ne comprenait pas leur utilité surtout que les sociétés actuelles n’avaient plus vraiment besoin de fourrures …

Pendant un peu moins d’une minute, le jeune garçon fit quelques manipulations sur l’ordinateur. Ses explications étaient simples et Rika suivait même si elle ne comprenait pas tout à fait. C’était spécial mais, intéressant, comme si derrière un petit écran, il y avait un tout autre univers. Ce qu’elle comprit, c’est qu’on pouvait envoyer des lettres avec ce système. Vu le nombre impressionnant de domestique esclavagés qu’elle avait, jamais la vampire n’avait eu à gérer ce genre de choses d’elle-même. Sa demeure disposait de tout le confort moderne sans technologies clignotantes et aberrantes, conservant un certain style d’une autre époque. Elle reprit contact avec la réalité lorsqu’il lui demanda son nom. C’était sans doute pour créer cette fameuse adresse e-mail.

« Je m’appelle Rika Igelström. Je ne compte pas passer beaucoup de temps dans cette ville mais, je pense qu’il est nécessaire d’avoir de la lecture. Merci pour ton aide. »

Elle n’hésitait pas sur le tutoiement. Après tout, ils avaient six-cents ans de différence en faveur de la dame. Le ton de sa voix s’était adouci, satisfaite d’avoir de l’aide sans aucune arrogance ou prétention ce qui aurait bien vite fait tourner court la conversation. Se targuant d’être juste avec les gens qui le méritaient, elle choisit d’être agréable avec lui.

« Je viens de Scandinavie, je n’ai jamais été très douée pour tout ce qui touche aux nouvelles technologies comme vous-dites. J’ai toujours préféré ce qui est vrai et authentique, le temps donne aux choses une certaine beauté bien trop souvent négligée »

Elle était sincère bien qu’elle n’ait pas précisé que son manque de connaissance dans ce domaine était fortement lié à son âge avancé, beaucoup plus que son teint de poupée le laissait penser.  Distraitement, elle remit une mèche blonde derrière son oreille et reposa son regard sur l’écran. Bien que Rika comprenait l’idée de la chose, elle n’en voyait pas vraiment l’utilité et l’intérêt. Une lettre écrite à la main avec une encre délicate avait un charme qu’un écran ne peut égaler.